e lac englouti et autres histoires

ne rumeur, d’abord circonscrite à quelques foyers, s’est étendue à tout Saint-André. Le lac, qui occupait jadis la vallée de Vialonge, aurait été englouti à la suite d’un accident géologique. Aucun texte ancien n’en fait état. Les géologues, eux-mêmes, ne confirment pas cette assertion quelque peu rocambolesque. Une rumeur n’a pas besoin d’être confirmée ni infirmée. Elle court à la vitesse de l’eau, quand ce n’est pas à celle de l’éclair. Elle pénètre dans toutes les maisons, même les mieux calfeutrées, et répand son venin en toute impunité. On ne peut lutter contre elle. Rien ne lui résiste. Elle se comporte comme une épidémie : elle démarre on ne sait comment. Elle prend de l’ampleur, atteint son maximum, puis peu à peu se dégonfle, pour disparaître enfin. Il ne sert donc à rien de lutter contre. Mieux vaut comprendre les origines de la rumeur. Pour cela, il est recommandé de remonter jusqu’à sa source. Elle est clairement désignée, ainsi que son auteur, dans le mémoire édité par l’association du Vieux St André. Il n’est donc pas inutile qu’un visiteur, qui ne connaît le village que par la lecture du mémoire, se penche sur cette épineuse question, et donne son avis en toute indépendance et en dehors de toute pression.

aint André à mis longtemps pour se doter d’un réseau d’adduction d’eau potable. Elle n’arrive aux robinets qu’en 1959, soit un an après l’accession au pouvoir du général De Gaulle. N’y voyez pas une relation de cause à effet. Dans les mémoires du Général, on ne trouve trace d’une quelconque intervention dans les affaires de St André (alors que la moindre aparté avec Roosevelt ou Staline y est rapportée en détail). Et pour convaincre les plus sceptiques, rappelons son célèbre mot : « l’intendance suivra » ! Ce qui arriva. La vie du village en fut bouleversée. Une vraie révolution, comparable à l’arrivée de l’électricité quelques dizaines d’années plus tôt. Autrefois, quand on ne possédait pas de source , on utilisait l’eau de pluie recueillie dans des citernes. Il fallait se laver sommairement pour ne pas la gâcher. A l’eau froide, bien sûr ! On imagine aisément le temps perdu pour la quête de cette précieuse ressource. Les femmes en étaient les principales victimes. Laver le linge ou la vaisselle n’étaient pas une mince affaire. Tout le monde l’a oublié, sauf les principales intéressées. Ceux qui possédaient un puits ou une source étaient jalousés : « l’eau du puits du voisin est plus douce que le miel », dit un proverbe turc.

e mythe de l’eau en abondance traverse toutes les époques et nourrit l’imaginaire des hommes. Sans remonter au déluge, il y a peu, Hubert Dubedout dut son élection, comme maire de Grenoble, à sa promesse de faire monter le précieux nectar jusqu’aux étages ultimes des immeubles de la ville. Et c’était en 1965 ! Saint André avait de l’avance sur certains grenoblois hauts perchés… Dans la capitale du Dauphiné, quand on avait eu l’infortune d’élire domicile près du ciel, on n’en n’était pas récompensé pour autant ! Mais il faut noter l’esprit pratique des habitants de la ville, ils ’hésitèrent pas à confier à un ancien marin le soin de faire grimper l’eau : « Dauphinois, fin matois, ne vous y fiez pas », dit le dicton. De tout temps la question de l’eau a été un sujet sensible, elle a fait couler beaucoup d’encre, nous abreuvant de textes, de proverbes et symboles religieux ou profanes en tout genre. De la mythologie aux études les plus sérieuses, elle est omniprésente dans les préoccupations humaines. On peut se passer de manger, pas de boire ! Il n’est donc pas étonnant que notre mémorialiste ait succombé aux chants des sirènes en extirpant de la mémoire des anciens une légende que plus personne n’osait évoquer. Pour appuyer son assertion, il révèle l’existence d’un aqueduc. Malheureusement on n’en trouve plus trace. Décidément, cela fait beaucoup de disparus ! Un lac enterré passe encore, mais un aqueduc cela laisse quelques vestiges et des mentions dans les textes ! On a du mal à croire à toutes ces histoires. Pourquoi le Rognon présente-t-il à présent l’aspect d’un filet d’eau maigrelet ? Un séisme pourrait être la cause du bouleversement géologique : il lui aurait rogné les ailes. Possible. Voyons plutôt le nom de ce ruisseau. Rognon à plusieurs sens : en géologie, c’est une petite masse minérale arrondie qui est enrobée dans une roche différente. Mais les proverbes locaux n’ont retenu que son sens le plus courant : « Si le Dauphiné était un mouton, Tullins en serait le rognon », pour indiquer la grande fertilité et la richesse des environs de Tullins. Rien dans tout cela qui puisse faire avancer le profane dans la connaissance de l’histoire. Pourtant il semble bien que, dans les temps reculés, le Rognon et le lac eurent partie liée. Le saura-t-on une jour ? En attendant, il faut admettre toutes les hypothèses. Des plus sérieuses aux plus farfelues…

evenons, sommairement, sur l’histoire de ce village. La première inscription connue est celle d’une stèle funéraire consacrée par un esclave affranchi à sa femme défunte : « Aux dieux mânes de SAMMIA PLACENTINA, co-affranchie et épouse très dévouée, SAMMIUS PRIMITIVUS de son vivant ; a fait (ce monument), et l’a dédié sous l’ascia. » On ne connaît pas l’âge des défunts, mais parions qu’ils étaient jeunes. A l’époque, on vivait rarement au delà de 35-40 ans. L’acte de naissance de l’histoire du village est donc un acte de décès, en même temps qu’une déclaration d’amour. Il est de pire auspices … C’était l’époque de la pax romana, la Gaule était encore à l’abri des invasions. N’étaient quelques plébéiens, qui troublaient l’ordre public en clamant leur foi dans un dieu unique - dont le fils aurait été supplicié pour expier les fautes de ses frères humains -, le pays pouvait prétendre à une paix de mille ans. Mais c’était sans compter avec les déferlantes venues de l’est en vagues successives. Elles n’apportèrent pas que la désolation ; le mode de vie des habitants en fut modifié profondément. La villae romaine est condamnée à disparaître. Les villageois vont devoir se défendre par leurs propres moyens ou payer des hommes en armes. L’urbanisme en sera bouleversé durablement. Deux classes sociales monteront en puissance et domineront la société pour longtemps : le clergé, et la chevalerie qui deviendra la noblesse. Le chroniqueur nous apprend qu’en 1348, la peste noire ravagea la région. L’on sait qu’elle fut terrible et tua entre le tiers et la moitié des habitants. La paroisse abritait environ 58 foyers, on peut faire les comptes… La désolation, la peur, et le besoin de chercher un responsable à leurs malheurs, poussa les survivants à en rejeter la faute sur le juifs que les paroisses présentaient comme les représentants du peuple déicide. C’est ainsi qu’eut lieu un pogrom ou périrent 4 juifs de la région. Cela peut paraître beaucoup mais en 1349 à Strasbourg 2000 furent tués dans un gigantesque pogrom. Les juifs n’étaient pas simplement des boucs émissaires, parfois la disparition d’un prêteur éteignait opportunément une dette… On faisait ainsi d’une pierre deux coups.

es guerres de religion furent une période de grand bouleversement et de massacre (plus que durant la révolution française) et St André n’en fut pas exempt. Le village étant réputé à majorité catholique, il serait intéressant de connaître comment ses habitants réagirent à l’occupation huguenote et combien se convertirent à la nouvelle religion ? Notons qu’à la même période, en 1588 exactement, les pontois - aidés en cela par les andréins - provoquèrent la noyade de 30 soudards ivre mort venus de St Marcellin. On ne sait pas comment les marcellinois répondirent à cette conduite de Grenoble.

lusieurs faits attestent que les andréins étaient mauvais payeurs. Ils n’hésitaient pas à braver les autorités politiques et ecclésiastiques pour faire valoir leur droit. Songeons à ce curé qui espérait prélever sa dîme en toute tranquillité sur des vignes, cultivées sur des « hautains », et qui se vit refuser tout net son paiement. Les andréins n’hésitèrent pas à engager une procédure contre l’impôt inique. L’on dit que la révolution sauva le village de la déconfiture. N’est-ce pas plutôt les andréins qui auraient fomenter des troubles pour faire diversion ? Ce n’est pas impossible : certains historiens assurent que la révolution française à débuté à Grenoble par la journée des tuiles. Des petits faits ont parfois de grande effets.

t que penser de ce pauvre garde champêtre qui, n’ayant pas verbalisé une seule fois pendant 10 longues années, fut limogé pour ce simple motif. Le devoir d’obéissance était entré en conflit avec la répugnance des habitants à remplir les caisses de l’état ! En fouillant dans les textes, l’on trouverait certainement d’autres exemples de ce type. Nous étions partis à la recherche d’un lac évanoui, et nous avons largement dérivé au fil de l’eau. Le sujet n’est pas épuisé, loin de là ! Il demande à être nourri et enrichi par de nouvelles recherches.

Texte de Monsieur ATCHADOURIAN écrit pour l'association

Illustration : La fontaine de La Bellière


Texte suivant
Haut de la page
Retour Atelier
Accueil