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[En Trois Temps Trois Mouvements] |
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oire |
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l était fatigué. Si fatigué. e
partout il avait mal. Une telle souffrance qu’il en devenait
insensible. Masse de douleur sans nom qui le rendait absent de
sa propre vie. a
chariote fit une embardée et s’immobilisa brusquement.
Un rocher tombé de la falaise après les fortes pluies
de mars. Probablement. Son front cogna violemment le plancher
de bois. Un mince filet de sang s’écoula et vint
lécher ses lèvres gonflées. Il le but. Il
avait soif. A quand remontait sa dernière gorgée
d’eau fraîche ? Une éternité. Pourtant,
il en gardait le goût en bouche, et non celui de l’eau
croupie disputée aux rats, dans l’obscurité
de son cachot. errière le voile gris de ses paupières, il voyait le paysage aimé. Il le parcourait à pied maintenant, une brindille dans la bouche, cet autre matin, dans la froidure de l’automne finissant. Il était fier. Il était fort. Il portait beau. Lui, Simon de la rue au change à Beauvoir, prêteur de son état. Son père l’avait envoyé auprès de Henri de Sassenage, régler une vieille affaire traitée avec Hugonet, ancien seigneur de Saint André. Il était parti dès potron-jacquet, après une nuit d’incessantes questions. A la veillée, son père et son grand-père lui avaient répété les us et coutumes de leur charge, la façon de se présenter devant les seigneurs endettés, la manière de réclamer le dû tout en étant servile. Et éviter les expulsions et les confiscations de biens. Comme son grand-père, dans sa jeunesse, sous Philippe le quatrième, dit « le Bel », contraint de fuir le royaume de France pour s’installer en Dauphiné. l entendit le chant du moineau. Là, au-dessus de lui. Péniblement, il tourna la tête sur la paille humide. Voir l’oiseau. Dans le flou de ses larmes, il aperçut le bleu du ciel par delà le feuillage délicat. Une petite feuille tendre, jeune encore et pleine de fougue, dansait gentiment au-dessus de lui. Accrochée à sa tige gorgée de sève, elle tournoyait dans la brise matinale. Il ne vit pas le moineau, mais le chant était toujours là, cristallin. Comme celui qui l’avait surpris, ce fameux matin, sur la route de Beauvoir à Saint André. Sur la droite, dans les fourrés. Cantilène mélodieuse, cachée dans les arbres de la forêt. Il l’avait suivi, cette voix d’ange, dans la brume matinale. Et l’avait trouvée, courbée, les mains dans l’eau froide du ruisseau, affairée à battre toiles grossières et draps fins sur la roche noire. Quelques mèches blondes caressaient sa nuque au gré des coups de batte sur le tissu. Le chant s’était tu quand il lui avait souhaité le bonjour. Des yeux couleur de nuit l’avaient regardé craintivement, avant de replonger dans l’eau claire et les draps mouillés. Elle était fille de Saint André, lavandière du Seigneur de céans. Et, chrétienne. partir de ce jour, le jeune homme multiplia d’abondance les
voyages entre les deux villages. Sa promise de Saint Marcellin,
de même confession et choisie par sa mère, disparut
de son univers, curieusement. Il était amoureux. Même
la peste noire, qui entrait en Dauphiné, fermant portes et
fenêtres dans les feux de Beauvoir, Saint André, Chatelus,
Champeverse, Auberives et du Pont lui était étrangère.
La mort envahissait la vallée. Nuit et jour, le bruit des
roues des charrettes sur les cailloux des chemins précédait
l’odeur âcre de chair brûlée et de chaux
vive. Le tocsin dans les vallées. La peur, la mort, les pleurs,
la douleur, la souffrance. e dimanche-là, il était parti tôt de Beauvoir et était arrivé à Saint André aux premières cloches de l’office. Il l’avait aperçue franchir le seuil de l’église, au milieu des serviteurs du Seigneur Henri. Et l’avait suivie. Du fond de la nef, ses yeux ne voyaient qu’elle. Tant il était heureux, tant il ne vit pas le temps passer. L’office se déroulait, dans la peur attisée par le moine célébrant. Leurs péchés avaient amené la peste sur la vallée et seul Dieu pourrait les sauver. Le prêtre alla chercher l’ostensoir salvateur. Son visage devint livide. - Le sang ! Le sang de Dieu… sacrilège ! Le diable est là ! Maudits… nous sommes maudits ! es
paroles raisonnèrent dans le silence des murs. Des langues
de peur s’infiltrèrent dans toutes les travées,
léchant indistinctement les chausses de linge fin ou d’étoffes
grossières, remontant le long des corps pour les envelopper,
les enserrer, les étouffer. Visages livides, murmures sourds.
Envie de fuir ce lieu malfaisant. e chemin se faisait difficile. Le jeune homme était ballotté en tout sens sur le plancher du chariot. Au loin, il entendait cris et mots, remplis de haine. Des pierres jetées le meurtrissaient. Le soleil le soulageait. Le convoi grimpait maintenant la côte ardue débouchant dans l’enceinte du château de Beauvoir. Un bûcher l’y attendait. ne petite cascade d’eau fraîche descendait de la colline. Eau qui claque en rencontrant le sol pierreux. Bruit des battes sur le linge mouillé. Visage d’ange. Chant de l’aimée… Bientôt. Très bientôt, il irait la rejoindre, celle qui l’avait précédé de peu dans la mort, par une nuit sans lune, dans les affres de la maladie. Bientôt. Maintenant… n poussa le jeune homme hors de la carriole. Ligoté, il fut hissé sur le bûcher. Devant la croix brandie par le moine accusateur. - A mort ! A mort le profanateur ! A mort l’empoisonneur de sources… disait la foule apeurée. répitement des brindilles. Cris de haine. Douce chaleur du feu. Et cette fumée épaisse qui lui volait ses larmes. Et cette brûlure qui le tordait. Corps agité de soubresauts. Rideau de feu derrière le voile de fumée âcre. Odeur de chair grillée. Et cet air qui se faisait rare. De plus en plus rare. A en manquer. A en étouffer. A jamais. e
soleil perça les nuages, là-haut, tout là-haut,
au-dessus de la place du village de Beauvoir. Marie-Christine Tacussel, le clos du Daim 16/04/01
Texte écrit pour l'association dans le cadre d'un atelier d'écriture ayant pour thème Saint André et son histoire Illustrations : Fête en costumes d'époque à Beauvoir en Royans |
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